Archive for January, 2007

1980

Wednesday, January 10th, 2007

- Mais pourquoi Barthes ?
Et pourquoi les questions de Barthes ?
Et pourquoi les questions de Barthes aujourd’hui ?
Oui, pourquoi aujourd’hui ?
- …
- Parce qu’il n’y a pas d’actualité Barthes, ni centenaire, ni commémoration, ni hommage, alors ?
- Et les 50 ans des “Mythologies”? T’en fais quoi? Ca a encore toutes ses dents, non?
- Oui, ca a du mordant encore! Et puis, il y a la proposition de Francis Marmande sur le travail de Persida Asllani. Les 1920 questions de Barthes. La question que Barthes continue de poser aujourd’hui. Nous sommes plutôt à une époque où nous cherchons des réponses à des questions que nous ne savons plus poser, non ? En effet, il ne suffit pas de poser une question pour qu’elle en soit une.
-…
- Ne nous y fions pas, la quantité (1920 questions) ne nous achemine pas vers un viatique de certitudes mais vers la qualité subversive d’un questionnement élevé au rang d’art, d’un art de combat, d’un combat à la mesure de l’homme.

 

La question qui ne cesse de traverser toute l’œuvre de Barthes : L’écriture c’est quoi ?
La première lecture en janvier à la MC93, faite de questions portant sur l’engagement dans l’écriture agit comme autant de coups de marteau sur les «kits de bien-être» de nos professeurs de certitude. La somme des questions n’aura, en effet, servi qu’à mettre toutes les réponses données en état de crise. L’excès de questions révèle ainsi l’excès de confiance des différents domaines d’une époque ( en littérature comme en économie, en religion, en médecine, en politique, en philosophie…).

Nicolas Bigards

La chambre claire
Qui pouvait me guider ? (III 1111) Pourquoi choisir (photographier) tel objet, tel instant, plutôt que tel autre ? Qu’avais-je à faire des règles de composition du paysage photographique, ou, à l’autre bout, de la Photographie comme rite familial ? (III 1113) Pourquoi n’y aurait-il pas, en quelque sorte, une science nouvelle par objet ? Une Mathesis singularis (et non plus universalis) ? Qu’est-ce que mon corps sait de la Photographie ? (III 1114) Une image - mon image - va naître : va-t-on m’accoucher d’un individu antipathique ou d’un «type bien» ? (III 1115) A qui appartient la photo ? au sujet (photographié) ? au photographe ? Le paysage lui-même n’est-il qu’une sorte d’emprunt fait au propriétaire du terrain ? (III 1117) Il y a des moments où je déteste la Photo : qu’ai-je à faire des vieux troncs d’arbres d’Eugène Atget, des nus de Pierre Boucher, des surimpressions de Germaine Krull (je ne cite que des noms anciens) ? J’aime / je n’aime pas : qui de nous n’a sa table intérieure de goûts, de dégoûts, d’indifférences ? (III 1119) N’est-ce pas l’infirmité même de la Photographie, que cette difficulté à exister, qu’on appelle la banalité ? Mais pouvait-on retenir une intentionnalité affective, une visée de l’objet qui fût immédiatement pénétrée de désir, de répulsion, de nostalgie, d’euphorie ? Cette photo me plaisait ? M’intéressait ? M’intriguait ? (III 1122) Quel motif et quel intérêt à photographier un nu à contre-jour dans l’embrassure d’une porte, l’avant d’une vieille auto dans l’herbe, un cargo à quai, deux bancs dans une prairie, des fesses de femme devant une fenêtre rustique, un œuf sur un ventre nu (photos primées à un concours d’amateurs) ? Quelle science engagée reconnaîtrait l’intérêt de la physiognomonie ? L’aptitude à percevoir le sens, politique ou moral, d’un visage n’est-elle pas elle-même une déviation de classe ? (III 1131) Cette envie plonge en moi à une profondeur et selon des racines que je ne connais pas : chaleur du climat ? Mythe méditerranéen, apollinisme ? Déshérence ? Retraite ? Anonymat ? Noblesse ? (III 1134) Pourquoi un démodé aussi daté me touche-t-il ? Je veux dire : à quelle date me renvoie-t-il ? Ici, la photographie se dépasse vraiment elle-même : n’est-ce pas la seule preuve de son art ? S’annuler comme medium, n’être plus un signe, mais la chose même ? (III 1138) Comment Kertesz aurait-il pu «séparer» la chaussée du violoneux qui s’y promène ? (III 1142) Bob Wilson me retient, mais je n’arrive pas à dire pourquoi, c’est-à-dire où : est-ce le regard, la peau, la position des mains, les chaussures de basket ? (III 1144) Est-ce qu’au cinéma j’ajoute à l’image ? (III 1147) Veiller à la sagesse de l’animal : s’il se mettait tout d’un coup à caracoler ? Qu’en adviendrait-il de la jupe de la reine, c’est-à-dire de sa majesté ? (III 1148) L’Histoire, n’est-ce pas simplement ce temps où nous n’étions pas nés ? (III 1155) Et voici que commençait à naître la question essentielle : est-ce que je la reconnaissais ? (III 1156) Comment cette bonté a-t-elle pu sortir de parents imparfait, qui l’aimèrent mal, bref : d’une famille ? (III 1158) La Photographie a quelque chose à voir avec la résurrection : ne peut-on dire d’elle ce que disaient les Byzantins de l’image du Christ dont le Suaire de Turin est imprégné, à savoir qu’elle n’était pas faite de main d’homme, acheïropoïétos ? (III 1167) J’adorerais bien une Image, une Peinture, une Statue, mais une photo ? (III 1172) Qu’est-ce qui va s’abolir avec cette photo qui jaunit, pâlit, s’efface et sera un jour jetée aux ordures, sinon par moi - trop superstitieux pour cela - du moins à ma mort ? (III 1174) Qu’est-ce que je fais, pendant tout le temps que je reste là devant elle ? (III 1178) Pourtant, en y réfléchissant, je suis bien obligé de me demander : qui ressemble à qui ? La ressemblance est une conformité, mais à quoi ? Moi qui me sens un sujet incertain, amythique, comment pourrais-je me trouver ressemblant ? (III 1179) Quel rapport entre ma mère et son aïeul, formidable, monumental, hugolien, tant il incarne la distance inhumaine de la Souche ? (III 1181) Voir photographiés une bouteille, une branche d’iris, une poule, un palais, n’engage que la réalité. Mais un corps, un visage, et qui plus est, souvent, ceux d’un être aimé ? (III 1183) Peut-être l’air est-il en définitive quelque chose de moral, amenant mystérieusement au visage le reflet d’une valeur de vie ? (III 1184) Quoi, rien à dire de la mort, du suicide, de la blessure, de l’accident ? Comment regarder sans voir ? Comment peut-on avoir l’air intelligent sans penser à rien d’intelligent, en regardant ce morceau de Bakélite noire ? (III 1186) N’étais-je pas, en somme, amoureux de l’automate fellinien ? N’est-on pas amoureux de certaines photographies ? (III 1190) Folle ou sage ? (III 1192)
Textes
Quoi de plus humain qu’un homme qui veut dire, sans qu’on puisse savoir quoi ? (III 1203) Que faut-il pour faire un Mythe ? L’écriture c’est quoi ? (III 1219) La pose autrefois, devant le chevalet du peintre ou l’appareil du photographe, n’était-elle pas l’affirmation d’une essence d’individu ? (III 1226) Quoi de plus raisonnable qu’un dictionnaire ? (III 1227) Les mots renvoient à des choses ? Qu’est-ce que la «face» ? Mais qu’est-ce qu’une «partie», un «crâne» ? En quoi êtes-vous justifié de vous arrêter ici plutôt que là ? Où cessent les mots ? Qu’y a-t-il au-delà ? (III 1228) Qui pense à la bonté du soir en disant «bonsoir» ? Les allusions au vin sont peut-être devenues plus rhétoriques (courtoises, pourrait-on dire) que mythiques ? Qui peut savoir ? (III 1250) Toujours cette pensée : et si les Modernes se trompaient ? S’ils n’avaient pas de talent ? (III 1275) Mais que ferais-je alors pendant mes sorties ? Quel sera pour moi le spectacle du monde ? (III 1285) Dire inutile (son message est dans sa méchanceté), car sur le caractère répulsif de mon propre corps, qui est plus imaginatif que moi ? L’ai-je vraiment désiré ? Peut-être ai-je joué à le désirer ? (III 1297) La nuance est littéraire (puisqu’elle tient au langage) ? (III 1298)

1979

Monday, January 15th, 2007

dois-je tenir un journal en vue de le publier ? Barthes

L’exercice d’écriture quotidien du blog accompagne mes lectures. Délibérations de Barthes sur l’usage du journal intime. Le blog n’est pas un journal intime. Ou pas seulement cela.
Mais, qu’est-ce qu’un blog ?
La lecture du blog m’a longtemps paru un peu fastidieuse, sans intérêt, pire, chronophage. Chacun te renvoyant à d’autres blogs, par un principe de type borgésien. Tu n’en sors jamais.
Mais, tout de même, c’est quoi un blog ? Pourquoi blog-je ? Et de google en blogs, tu desordre.net et puis nanoblog.com et aussi samantdi.net oublier …
Et enfin tu Wikipédiates :
Un blog ou blogue est un site Web constitué par la réunion d’un ensemble de billets triés par ordre chronologique. Chaque billet (appelé aussi note ou article) est, à l’image d’un journal de bord ou d’un journal intime, un ajout au blog ; le blogueur (tenant du blog) y porte un texte, souvent enrichi d’hyperliens et d’éléments multimédias et sur lequel chaque lecteur peut généralement apporter des commentaires.

Donc, un journal ?
Même si on ne trouve pas que des journaux intimes dans les blogs, cela a quand même lancé un espace de visibilité, de lisibilité à une parole, une écriture personnelle. Jusqu’à l’avénement du blog, finalement, le journal intime avait pour vocation à le rester, intime. Il restait au fond du tiroir, caché, dissimulé aux regards des proches. C’est en cela que le journal intime, à part ceux des écrivains ou autres artistes, qui prennent valeur d’œuvre, m’a toujours paru un objet bien singulier et empreint d’égotisme. Pourtant, l’ego n’en est encore un que parce qu’il se permet d’être impudique. Pourquoi écrire si ce n’est pour être lu par un autre? Par un autre que soi-même, spectateur d’une scène intime propice à l’exhibition du Moi. Car quelle étrange opération que de se relire ? Car relit-on jamais son journal intime ? Se relire. Quand on y pense. «Travailler à quoi ? A me relire, hélas.» Car là , plus qu’ailleurs, c’est soi-même qu’on relit, c’est un «je» qu’on relit le lendemain, ou quelques années plus tard. Se re-lire. Lire soi-même à nouveau. Est-ce un objet littéraire ? Le Journal, si «bien écrit» soit-il, est-ce de l’écriture ?
Mais la question de la publication ne se posait que chez l’artiste ou l’homme public. Dois-je tenir un journal en vue de le publier ? Ce qui change fatalement la nature du journal. Le journal intime de l’écrivain est-il de même nature que celui du quidam? Acquiert-il une valeur d’œuvre du fait même qu’il est le produit de l’écrivain? S’il l’écrit pour qu’il soit publié, quelle valeur prend ce «je» qui se dévoile, à quel degré de sincérité ? Est-ce que le seul vrai journal serait celui qui aurait échappé à l’ego ?

Le blog redistribue les cartes, ou les brouillent, c’est selon. Car, il repose la question du journal pour un lecteur autre que soi-même.
La tentation narcissique Net de publication ?
Le relatif anonymat de la toile, avec l’utilisation de pseudos, permet de se dévoiler sans se montrer. Mais, nouveauté : le lecteur peut désormais apparaître et s’immiscer dans cette intimité-forum en ajoutant un commentaire.

Lecture de Philippe Lejeune. Le journal du petit cahier est-il contre-nature, le monstre de l’homme ? Que doit-on entendre par «monstrueux» ? Le plaisir de cet écrit secret, destiné qu’à soi-même est-il fascination regressive et perte d’attention à la vie ou bien l’anti-poison d’une voix sans issue ?

Nicolas Bigards

Sollers écrivain
Mais l’isolé absolu ? Celui qui n’est ni breton, ni corse, ni femme, ni homosexuel, ni fou, ni arabe, etc. ? Celui qui n’appartient même pas à une minorité ? (III 930) Quel est cet homme ? Quel est l’objet de son désir ? Qu’est-ce qui le soutient ? lui résiste ? (III 934) Quelle est la fable élémentaire ainsi poursuivie et dont la poursuite fait le livre ? (III 936) Qu’est-ce qu’une histoire ? A quel niveau de moi-même, du monde, vais-je décider qu’il m’arrive quelque chose ? Pourquoi commencer ici plutôt que là ? (III 937) A-t-elle jamais commencé ? (III 938) Un communiste à «Tel quel» ? Pourquoi pas, si cela est désécrire l’anticommunisme dont s’est nourrie (surnourrie) l’intelligentsia de gauche, et si c’est du même coup - il ne faut pas l’oublier - désécrire l’antiformalisme traditionnel des intellectuels communistes ? (III 947) Le rapport de cela avec la révolution ? A quoi bon copier le réel, même d’un point de vue révolutionnaire, puisque ce serait recourir à la langue bourgeoise par excellence, qui est précisément celle de la copie ? (III 949) L’écriture chinoise n’est-elle pas née, dit-on, des craquelures apparues sur des écailles de tortue chauffées à blanc ? Le vers n’est-il pas ce qui se détache et vient percuter ? (III 952) La phrase littéraire n’est-elle pas un montage ? (III 954) On peut se demander : par quoi l’humanité a-t-elle commencé ? le Mot ou tout de suite la Phrase ? H à la Bibliothèque nationale ? Comment fait-on un article de critique ? Comment lire ce qui est attesté ici et là comme illisible ? (III 956) Il y a des snobs de l’avant-garde ? (III 957) L’honnêteté (libérale) ne consisterait-elle pas à se dire d’abord : si vous êtes incompréhensibles, c’est que je suis bête, ignorant ou mal intentionné ? (III 957) Quand aura-t-on le droit d’instituer et de pratiquer une critique affectueuse, sans qu’elle passe pour partiale ? Quand serons-nous assez libres (libérés d’une fausse idée de l’«objectivité») pour inclure dans la lecture d’un texte la connaissance que nous pouvons avoir de son auteur ? Pourquoi - au nom de quoi, par peur de qui - couperais-je la lecture du livre de Sollers de l’amitié que j’ai pour lui ? (III 960)
Textes
Comment les chiens, souvent si nobles, ne s’aperçoivent-ils pas de la bêtise de leur maître ? (III 969) Les Japonais regardent-ils quelquefois, et au cours de quels rites, les photographies qu’on les voit sans cesse en train de prendre ? (III 972) Et si l’on supprimait l’impératif ? Si les hommes se donnaient le pouvoir de rayer de la langue tous ses morphèmes répressifs ? (III 977) Peut-être l’écrivain est-il toujours dépendant (d’une autorité, d’une économie, d’une morale, d’un sur-moi collectif, etc.) ? Peut-être n’écrit-il, quel que soit le libéralisme de sa société, qu’en trichant avec la force ? Peut-être l’écriture est-elle politiquement perverse ? (III 981) Ne voyons-nous pas aujourd’hui que l’«humain», c’est comme la somme infinie des particularités irréductibles ? Maintenant que le pouvoir est partout (grande et sinistre découverte -même si elle est naïve - des gens de ma génération), au nom de quel parti démystifier ? (III 989) Mais, après tout, il y a un combat pour la douceur : à partir du moment où la douceur est décidé, ne devient-elle pas une force ? En quoi cette forme peut-elle être cependant politique ? Pourquoi donner le ténu, le futile, l’insignifiant, pourquoi risquer l’accusation de dire des «riens» ? Ne devons-nous pas aujourd’hui faire entendre le plus grand nombre de «petits mondes» ? Attaquer le «grand monde» (grégaire) par la division inlassable des particularités ? (III 991) Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui fait que tout d’un coup, un mois d’été, à Paris, «ça a pris», et pour toujours (jusqu’à la mort de Proust, en 1922, et bien au-delà, puisque notre lecture présente, active, ne cesse d’augmenter la Recherche, de la surnourrir) ? (III 994) Lorsqu’on parle, on regarde qui ? quoi ? et selon quels changements ? Or «presque» est un mot auquel la science répugne : Comment assurer, imposer, intimider, avec des «presque», des «plus», des «moins», des «oui, mais» ? (III 999) Que se passe-t-il quand deux ou plusieurs parlent de quelqu’un ou de quelque chose ? (III 1001) Mais, encore une fois, est-ce que cette bienveillance finale, atteinte après avoir traversé une phase de rejet, justifie de tenir (systématiquement) un journal ? Est-ce que ça vaut la peine ? (III 1004) Dois-je tenir un journal en vue de le publier ? Puis-je faire du journal une «œuvre» ? N’ai-je pas un vif plaisir à lire dans le Journal de Tolstoï la vie d’un seigneur russe au XIX siècle ? (III 1005) Qu’est-ce donc que cette impuissance à la foi ? Peut-être un amour très humain ? L’amour exclurait la foi ? Et vice versa ? (III 1006) Pourquoi est-ce que je suspecte, du point de vue de l’Image, l’écriture du Journal ? (III 1012) Mais le Journal ne peut-il être précisément considéré et pratiqué comme cette forme qui exprime essentiellement l’inessentiel du monde, le monde comme inessentiel ? Comment tenir un Journal sans égotisme ? N’y a-t-il pas des moments «historiques» où il faut être historien ? En pratiquant à outrance une forme désuète d’écriture, est-ce que je ne dis pas que j’aime la littérature, que je l’aime d’une façon déchirante, au moment même où elle dépérit ? (III 1013) Le Journal, si «bien écrit» soit-il, est-ce de l’écriture ? (III 1014) Est-ce qu’il est «camp», ce baron von Gloeden ? Dans notre univers policier, la photographie n’est-elle pas la preuve invincible des identités, des faits, des crimes ? (III 1015) Quels que soient les avatars de la peinture, quels que soient le support et le cadre, c’est toujours la même question : qu’est-ce qui se passe, là ? (III 1021) Du point de vue du «style», valeur haute qui suscita le respect de tous les Classiques, quoi de plus éloigné du Voile d’Orphée que ces quelques lignes enfantines d’arpenteur apprenti ? (III 1027) Et qui pourrait écrire mieux qu’un peintre ? (III 1028) L’espace traité n’est plus dès lors dénombrable, sans pour autant cesser d’être pluriel : n’est-ce pas selon cette opposition à peine tenable, puisqu’elle exclut à la fois le nombre et l’unité, la dispersion et le centre, qu’il faut interpréter la dédicace que Webern adressait à Alban Berg : «Non multa, sed multum» ? (III 1032, 1047) Qui c’est, Cy Twombly (ici dénommé TW) ? Qu’est-ce qu’il fait ? Comment nommer ce qu’il fait ? «Enfantins», les graphismes de TW ? Oui, pourquoi pas ? Bref il provoque en nous un travail de langage (n’est-ce pas précisément ce travail - notre travail - qui fait le prix d’une œuvre ?) (III 1033) Qu’est-ce que l’essence d’un pantalon (s’il en a une) ? Qu’est-ce qu’un geste ? (III 1034) L’écriture n’habite plus nulle part, elle est absolument de trop - N’est-ce pas à cette limite extrême que commence vraiment «l’art», «le texte», tout le «pour rien» de l’homme, sa perversion, sa dépense ? (III 1036) Mais qu’est-ce que la couleur ? (III 1039) Difficulté de la page blanche : souvent ce blanc provoque une panique : comment le salir ? (III 1040) Que sont les autres pour moi ? Comment dois-je les désirer ? Comment dois-je me prêter à leur désir ? Comment faut-il se tenir parmi eux ? Comment faire un trait qui ne soit pas bête ? (III 1044) Pourquoi «se reprendre», puisqu’il n’y a pas de maîtrise ? Pourquoi la pulsion serait-elle de droit violente, grossière ? (III 1046) Enfin, renversez l’image et lisez à loisir la physionomie d’Holopherne, c’est un visage très personnalisé, et cela d’une façon surprenante : car dans sa position (sa fonction), avait-il besoin de ressembler à quelqu’un ? (III 1054) Comment supporter que ce flot qu’il y a en moi aboutisse dans le meilleur des cas à un filet d’écriture ? (III 1073) Faut-il lutter ou non ? Doit-on lutter pour périmer le sens, le détruire, le transmuter, pour atteindre par les mots une autre zone du corps ne relevant pas de la logique syntaxique ou, au contraire, faut-il ne pas lutter ? (III 1076) Sans l’évaluation sensible de cette crise-là, sans cet amour, que comprendrait-on à ce qui fait la modernité d’un syntacticien et d’un lexiste aussi prodigieux que Chateaubriand ? (III 1089)

1978

Saturday, January 20th, 2007

Répétition de la première lecture.
Et première lecture à la table. Est-ce que tout cela (l’assemblage des textes, «la partition») tient la route ? Comment éviter l’inévitable agencement thématique ? Travailler sur le fragment. Briser le discours. Parce que l’incohérence est préférable à l’ordre qui déforme.(Gide)
Ce qui me frappe : pour le dire vite, la mélancolie de Barthes. Ce que nous vivons, et ce que l’on a vécu, semblent toujours être moins de la moitié de ce qui nous reste à vivre, avec finalement le sentiment d’une forme d’éternité. Quand le sablier s’inverse-t-il ? Comment, au moment où je parle, connaîtrais-je la durée totale de mon existence, au point de pouvoir la diviser en deux parties égales ? Le milieu du chemin de la vie, où c’est la dernière partie qui commence, une fin de partie, la partie de la fin. La mélancolie commence peut-être là, dans l’incertitude du décompte, avec la certitude de sa fin. Quelles sont les forces réelles que mon âge implique et veut mobiliser ? Telle est la question, surgie récemment, qui, me semble-t-il, a fait du moment présent le «milieu du chemin de ma vie». Ci va di mezzo la vità…
Pourquoi aujourd’hui ?

Nicolas Bigards

Leçon
Et pourtant, si le pouvoir était pluriel, comme les démons ? (III 802) Comment oser parler, dans le cadre d’une institution, si libre soit-elle, d’un enseignement fantasmatique ? Cependant, si l’on considère un instant la plus sûre des sciences humaines, à savoir l’Histoire, comment ne pas reconnaître qu’elle a un rapport continu avec le fantasme ? (III 814)
Textes
Par périodes, j’aime bien… mais ici la difficulté commence : faire quoi du dessin ? de la peinture, du graphisme ? (III 821) Pourquoi n’il y a-t-il pas aujourd’hui (du moins me semble-t-il), pourquoi il n’y a-t-il plus un art de la persuasion - ou de l’imagination - intellectuelle ? Pourquoi sommes-nous si lourds, si indifférents à mobiliser le récit, l’image ? Ne voyons-nous pas que ce sont tout de même les œuvres de fiction, si médiocres soient-elles artistiquement (Soljenitsyne), qui ébranlent le mieux le sentiment politique ? (III 822) Comment écrire sans ego ? Voltaire moins désespéré, Rousseau plus heureux que nous ? (III 823) Le grand matériau de l’art moderne, de l’art quotidien, n’est-il pas aujourd’hui la lumière ? (III 824) Qu’est-il, ce bon sommeil (de l’enfance) ? Que fait-il, ce sommeil (ou ce demi-réveil) ? (III 829) Comment, au moment où je parle, connaîtrais-je la durée totale de mon existence, au point de pouvoir la diviser en deux parties égales ? Quelles sont les forces réelles que mon âge implique et veut mobiliser ? Pourquoi aujourd’hui ? (III 832) Quand j’aurai fini ce texte, cette conférence, je n’aurai rien d’autre à faire qu’à en recommencer un autre, une autre ? (III 833) Quel Lucifer a créé en même temps l’amour et la mort ? Ce que je puis dire, ce que je ne peux faire autrement que de dire, c’est que ce sentiment qui doit animer l’œuvre est du côté de l’amour : quoi ? La bonté, La générosité ? La charité ? (III 834) Je lis un peu partout que c’est une sensibilité très «moderne» que de «cacher sa tendresse» (sous des jeux d’écriture) ; mais pourquoi ? Serait-elle plus «vraie», aurait-elle plus de valeur parce qu’on se guinde à la cacher ? Est-ce que tout cela veut dire que je vais écrire un roman ? «Comme si» : cette formule n’est-elle pas l’expression même d’une démarche scientifique, comme on le voit en mathématiques ? (III 835) Peut-être est-ce finalement au cœur de cette subjectivité, de cette intimité même dont je vous ai entretenus, peut-être est-ce à la «cime de mon particulier» que je suis scientifique sans le savoir, tourné confusément vers cette Scienza Nova dont parlait Vico : ne devra-t-elle pas exprimer à la fois la brillance et la souffrance du monde : ce qui, en lui, me séduit et m’indigne ? (III 836) Quoi de plus troublant qu’un air qui continue et dément la loi de l’expression, c’est-à-dire de la correspondance de l’intérieur et de l’extérieur, de la cause et de l’effet ? (III 837) Qui veut les âges ? (III 844) Pourquoi certains pratiquent-ils la perversion de l’écriture, comment trouvent-ils une rentabilité de jouissance dans la pratique de l’écriture ? En quoi consistera-t-elle ? (III 853) Pourrait-il y avoir une écriture de la peur ? (III 870) Je retrouve ici le même affolement que me donne la Bêtise ; est-ce moi ? Est-ce l’autre ? Est-ce l’autre qui est illisible (ou bête) ? Est-ce moi qui suis borné, inhabile, est-ce moi qui ne comprends pas ? (III 871) Erotisme de la Phrase «lisible» ? Comment un corps peut-il coller à une idée - ou une idée à un corps ? Comment supporter, limiter, éloigner les pouvoir de langage ? Comment fuir les «fantasmes» (les «racismes» de langage) ? (III 872) Comment une image de moi «prend»-elle au point que j’en sois blessé ? (III 873) Qu’est-ce qu’un «bon» colloque ? (III 877) Comment puis-je me permettre d’entretenir les auditeurs d’un Colloque, dont le thème est très général, de ce qui n’est peut-être qu’un goût très personnel, le goût d’un chanteur disparu de la scène musicale depuis vingt-cinq ans au moins, mort l’année dernière et sans doute, par là même, ignoré de la plupart d’entre vous ? (III 880) Qu’est-ce donc que la musique ? (III 884) Est-ce qu’il y a encore une «critique» ? (III 895) Comment limiter la violence, autrement que par une autre violence ? (III 903) Peut-on être contre la violence seulement en partie, c’est-à-dire seulement sous condition, en reconnaissant des exceptions ? Peut-on monnayer la non violence ? Peut-on entrer dans une appréciation des contenus de la violence, de ses justifications ? (III 904) (Schubert) N’est-ce pas vraiment le musicien qui est fait par excellence pour une approche intimiste, celle des amateurs ? N’est-il pas aussi comme cela qu’il a souvent écrit dans un milieu musical où il n’y avait pas de distinction tranchée entre ceux qui écoutaient et ceux qui jouaient ? (III 906) Pouvons-nous vraiment, nous Occidentaux, consommer un morceau de civilisation entièrement isolé de son contexte ? (III 911) Peut-on faire un travail d’analyse structurale sur les Evangiles ? (III 922)

1977

Thursday, January 25th, 2007

D’un coup, curiosité pour ce ménage à deux de Moi à Je, pourquoi n’en ai-je jamais ressenti la nécessité ? Cette absence m’intrigue, est-elle le symptôme d’un manque de dialogue avec moi-même ou bien la preuve d’une trop bonne entente dont les accords me seraient dissimulés ?
Je ne puis m’écrire. Quel est ce moi qui s’écrirait? Au fur et à mesure qu’il entrerait dans l’écriture, l’écriture le dégonflerait, le rendrait vain; il se produirait une dégradation progressive, dans laquelle l’image de l’autre serait, elle aussi, peu à peu entraînée (écrire sur quelque chose, c’est le périmer), un dégoût dont la conclusion ne pourrait être que: à quoi bon?

Je m’en ouvre à J.-F. P

De : jfp
Objet : Rép :
Date : 9 février 2007 00:27:24 HNEC
- : nicolas.bigards@wanadoo.fr

Peut-être que c’est ça, la bonne compagnie avec soi-même: la fermer. Mais ça ne supprime pas l’hypothèse du dialogue intérieur. Aucun rapport, il me semble, avec la profondeur; l’intériorité n’a rien à voir avec la profondeur; Barthes a dû dire que c’était un effet de surface, une nappe, du nappé -il adorait ça, ce con- genre toile cirée sur laquelle glisse le pet intime.
C’est marrant que tu me parles de journal au moment où je suis dans le cas de mettre au propre (rendre lisible) mes journaux pour que Julie les mette en thèse (ça vaut bien un blog). Du pré-posthume. Je m’aperçois du reste qu’à partir de ma rencontre avec les scientifiques, tous ces carnets perdent toute dimension intime. Etrange. Mais que de pages, mon Dieu.
Si je te lis bien aussi, même sur la question du journal, il (RB) a trouvé le moyen d’hamlétiser: diary or not diary. Passionnant! Il n’avait peut-être rien à cacher. Sous le masque, personne (remarque dramaturgique).

Nicolas Bigards

Fragments d’un discours amoureux
Que dire de la Langueur, de l’Image, de la Lettre d’amour, puisque c’est tout le discours amoureux qui est tissé de désir, d’imaginaire et de déclarations ? (III 462) Les mots ne sont jamais fous (tout au plus pervers), c’est la syntaxe qui est folle : n’est-ce pas au niveau de la phrase que le sujet cherche sa place - et ne la trouve pas - ou trouve une place fausse qui lui est imposée par la langue ? (III 463) Amoureux de la mort ? (III 458) L’abîme n’est-il qu’un anéantissement opportun ? (III 469) Quoi, le désir n’est-il pas toujours le même, que l’objet soit présent ou absent ? L’objet n’est-il pas toujours absent ? (III 473) Pourquoi est-ce que je désire Tel ? Pourquoi est-ce que je le désire durablement, langoureusement ? Est-ce tout lui que je désire (une silhouette, une forme, un air) ? Ou n’est-ce seulement qu’un morceau de ce corps ? Et, dans ce cas, qu’est-ce qui, dans ce corps aimé, a vocation de fétiche pour moi ? (III 476) Quelle portion, peut-être incroyablement ténue, quel accident ? La coupe d’un ongle, une dent un peu cassée en biseau, une mèche, une façon d’écarter les doigt en parlant, en fumant ? La tautologie n’est-elle pas cet état inouï, où se retrouvent, toutes valeurs mêlées, la fin glorieuse de l’opération logique, l’obscène de la bêtise et l’explosion du oui nietzschéen ? (III 477) Mais comment évaluer la viabilité ? Pourquoi ce qui est viable est-il un Bien ? Pourquoi durer est-il mieux que brûler ? (III 480) L’autre serait-il vulgaire, lui dont j’encensais dévotement l’élégance et l’originalité ? (III 483) Tout autre désir que le mien n’est-il pas fou ? Et si, pour que quelque chose se passe, je faisais un vœu ? (III 487) C’est donc que mon désir, tout spécial qu’il soit, s’accroche à un type ? Mon désir est donc classable ? L’amoureux n’est-il qu’un dragueur plus difficile, qui cherche toute sa vie «son type» ? En quel coin du corps adverse dois-je lire ma vérité ? L’innocent n’est-il pas inclassable (donc suspect à toute société, qui ne «s’y retrouve» que là où elle peut classer des Fautes) ? (III 493) S’il y avait un malentendu sur l’heure, sur le lieu ? Que faire (angoisse de conduite) ? Changer de café ? Téléphoner ? Mais si l’autre arrive pendant ces absences ? (III 495) X…, parti en vacances sans moi, ne m’a donné aucun signe de vie depuis son départ : accident ? grève de la poste ? indifférence ? tactique de distance ? exercice d’un vouloir-vivre passager («Sa jeunesse lui fait du bruit, il n’entend pas») ? ou simple innocence ? Que lui dirais-je ? Devrai-je lui cacher mon trouble - désormais passé («Comment vas-tu ?») ? Le faire éclater agressivement («Ce n’est pas chic, tu aurais bien pu…») ou passionnément («Dans quelle inquiétude tu m’as mis») ? Ou bien, ce trouble, le laisser connaître sans en assommer l’autre («J’étais un peu inquiet…») ? Et si l’autre, par quelque disposition de sa propre structure, avait besoin de ma demande ? Ne serais-je pas justifié, alors, de m’abandonner à l’expression littérale, au dire lyrique de ma «passion» ? L’excès, la folie, ne sont-il pas ma vérité, ma force ? Et si cette vérité, cette force, finissaient par impressionner ? Ne faut-il pas alors, précisément parce que je l’aime, lui cacher combien je l’aime ? (III 499) En quoi les sistemati qui m’entourent peuvent-ils me faire envie ? De quoi, en les voyant, suis-je exclu ? (III 503) N’est-il pas indécent de comparer la situation d’un sujet en mal d’amour à celle d’un concentrationnaire de Dachau ? (III 505) L’une des injures les plus inimaginables de l’Histoire peut-elle se retrouver dans un incident futile, enfantin, sophistiqué, obscur, advenu à un sujet confortable, qui est seulement la proie de son Imaginaire ? (III 506) Si je pouvais obtenir de moi-même de m’en tenir aux plaisirs allègres que l’autre me donne, sans les contaminer, les mortifier par l’angoisse qui leur sert de joint ? Si je pouvait avoir, de la relation amoureuse, une vue anthologique ? Si je comprenais, dans un premier temps, qu’un grand souci n’exclut pas des moments de pur plaisir (tel l’aumônier de Mère Courage expliquant que «la guerre n’exclut pas la paix») et si je parvenais, dans un second temps, à oublier systématiquement les zones d’alarme qui séparent ces moments de plaisir ? Si je pouvais être étourdi, inconséquent ? (III 507) Qu’est-ce que le monde, qu’est-ce que l’autre va faire de mon désir ? (III 509) Qu’est-ce qui m’emplit ainsi ? Une totalité ? (III 511) Puisque l’autre souffre sans moi, pourquoi souffrir à sa place ? (III 513) Qu’est-ce que je pense de l’amour ? (III 515) Comprendre, n’est-ce pas scinder l’image, défaire le je, organe superbe de la méconnaissance ? Et si la conscience - une telle conscience - était notre avenir humain ? Si, par un tour supplémentaire de la spirale, un jour, éblouissant entre tous, toute idéologie réactive disparue, la conscience devenait enfin ceci : l’abolition du manifeste et du latent, de l’apparence et du caché ? S’il était demandé à l’analyse non pas de détruire la force (pas même de la corriger ou de la diriger), mais seulement de la décorer, en artiste ? Imaginons que la science des lapsus découvre un jour son propre lapsus, et que ce lapsus soit : une forme nouvelle, inouï, de la conscience ? (III 516) Que faire ? Faut-il continuer ? Dois-je ou ne dois-je pas lui téléphoner ? (III 517) Si l’autre m’a donné ce nouveau numéro de téléphone, de quoi était-ce le signe ? Etait-ce une invite à en user tout de suite, par plaisir, ou seulement le cas échéant, par nécessité ? (III 518) Comment repousser un démon (vieux problème) ? (III 534) Qu’ai-je à faire avec le Portugal, l’amour des chiens ou le dernier Petit Rapporteur ? N’est-ce pas cela, le langage : un état de montre ? L’impolitesse n’est-elle pas seulement : une plénitude ? Aimer la réalité ? Quelle relation puis-je avoir avec un pouvoir, si je n’en suis ni l’esclave, ni le complice, ni le témoin ? (III 541) Où sont «les choses» ? Dans l’espace amoureux, ou dans l’espace mondain ? Où est «le puéril revers des choses» ? Qu’est-ce qui est puéril ? Est-ce «chanter l’ennui, les douleurs, les tristesses, les mélancolies, la mort, l’ombre, le sombre», etc. - ce que fait, dit-on, l’amoureux ? Est-ce, au contraire : parler, papoter, jaboter, épucer le monde, ses violences, ses conflits, ses enjeux, sa généralité - ce que font les autres ? (III 542) Quel est ce moi qui s‘écrirait ? (III 548) Comment finit un amour ? - Quoi, il finit donc ? (III 551) Je puis donc renaître sans mourir ? (III 552) Ce qui est énigmatique est la perte de délire : on entre dans quoi ? (III 555) Le point le plus sensible de ce deuil n’est-il pas qu’il me faut perdre un langage - le langage amoureux ? (III 556) Freud, paraît-il, n’aimait pas le téléphone, lui qui aimait, cependant, écouter. Peut-être sentait-il, prévoyait-il, que le téléphone est toujours une cacophonie, et que ce qu’il laisse passer, c’est la mauvaise voix, la fausse communication ? (III 563) Comment lutter contre une fatigue ? Mais que faire de ce paquet de fatigue déposé devant moi ? Que veut dire ce don ? Laissez-moi ? Recueillez-moi ? (III 564) N’est-ce donc rien, pour vous, que d’être la fête de quelqu’un ? (III 567) Mais imagine-t-on un fou amoureux ? (III 569) Peut-être reconnaître ici la coupure très singulière qui disjoint, dans l’Amoureux, la volonté de puissance - dont est marquée la qualité de sa force - de la volonté de pouvoir - dont elle est exempte ? (III 570) Comment l’être qui m’a capturé, pris dans le filet, peut-il me décapturer, desserrer les mailles ? Comment donc Zoé peut-elle à la fois «aimer» et «être amoureuse» ? Ces deux projet ne sont-ils pas réputés différents, l’un noble, l’autre morbide ? (III 574) Qui peut donc réussir cette dialectique ? Qui, sinon la femme, celle qui ne se dirige vers aucun objet - seulement vers… le don ? (III 575) Connaître quelqu’un, n’est-ce pas seulement ceci : connaître son désir ? (III 585) Qu’est-ce que cela donnerait, si je décidais de te définir comme une force, et non comme une personne ? Et si je me situais moi-même comme une autre force en face de ta force ? (III 586) Le corps qui va être aimé est, à l’avance, cerné, manié par l’objectif, soumis à une sorte d’effet zoom, qui le rapproche, le grossit et amène le sujet à y coller le nez : n’est-il pas l’objet scintillant qu’une main habile fait miroiter devant moi et qui va m’hypnotiser, me capturer ? (III 587) Voit-on un fou «sacrifier» sa folie à quelqu’un ? (III 592) Et si je me forçais à n’être plus jaloux, par honte de l’être ? (III 596) Je le répète (le je t’aime) hors toute pertinence ; il sort du langage, il divague, où ? Qui ne sent combien une telle décomposition, conforme pourtant à la théorie linguistique, défigurerait ce qui est jeté dehors d’un seul mouvement ? (III 597) A quel ordre linguistique appartient donc cet être bizarre, cette feinte de langage, trop phrasée pour relever de la pulsion, trop criée pour relever de la phrase ? (III 598) Et, si, je-t-aime, je ne l’interprétais pas ? Si je maintenais la profération en deçà du symptôme ? A vos risques et périls : n’avez-vous dit cent fois l’insupportable du malheur amoureux, la nécessité d’en sortir ? Que devons-nous penser finalement de la souffrance ? Comment devons-nous la penser ? l’évaluer ? La souffrance est-elle forcément du côté du mal ? (III 600) La souffrance d’amour ne relève-t-elle que d’un traitement réactif, dépréciatif (il faut se soumettre à l’interdit) ? Peut-on, renversant l’évaluation, imaginer une vue tragique de la souffrance d’amour, une affirmation tragique du je-t-aime ? Et si l’amour (amoureux) était mis (remis) sous le signe de l’Actif ? (III 601) Qu’est-ce que ça veut dire, «penser à quelqu’un» ? (III 607) L’interlocuteur parfait, l’ami, n’est-il pas alors celui qui construit autour de vous la plus grande résonance possible ? L’amitié ne peut-elle se définir comme un espace d’une sonorité totale ? (III 615) Le suicide d’amour serait-il une humeur un peu poussée ? (III 618) De quoi dépend donc ma lecture ? (III 621) Quoi de plus bête qu’un amoureux ? (III 624) En Werther, est-ce l’amoureux qui pleure ou est-ce le romantique ? Peut-être est-ce une disposition propre au type amoureux, que de se laisser aller à pleurer ? Où l’amoureux prend-il le droit de pleurer, sinon dans un renversement des valeurs, dont le corps est la première cible ? Qui fera l’histoire des larmes ? Dans quelles sociétés, dans quels temps a-t-on pleuré ? Depuis quand les hommes (et non les femmes) ne pleurent-ils plus ? Pourquoi la «sensibilité» est-elle à un certain moment retournée en «sensiblerie» ? (III 627) Problème nietzschéen : comment Histoire et Type se combinent-ils ? N’appartient-il pas au type de formuler - de former - l’inactuel de l’Histoire ? Quel est ce «moi» qui a «les larmes aux yeux» ? Quel est cet autre qui, telle journée, fut «au bord des larmes» ? Qui suis-je, moi qui pleure «toutes les larmes de mon corps» ? ou verse à mon réveil «un torrent de larmes» ? (III 628) Pourquoi ? Mais pourquoi est-ce que tu ne m’aimes pas ? Comment peut-on ne pas aimer ce moi que l’amour rend parfait (qui donne tant, qui rend heureux, etc.) ? Comment fait-tu pour aimer un peu ? Qu’est-ce que cela veut dire, qu’aimer «un peu» ? Ou encore - car je suis nominaliste : pourquoi ne me dis-tu pas que tu m’aimes ? (III 631) Quoi, vais-je délibérer si je dois devenir fou (l’amour serait cette folie que je veux) ? Dès lors, que m’importe l’esthétique de l’image ? (III 635) Toujours visuel, le tableau ? (III 636) Qui pourrait supporter sans souffrir un sens multiple et cependant purifié de tout «bruit» ? (III 645) De quels moyens pourrais-je disposer ? Le silence ? Le raisonnement ? L’analyse de la scène elle-même ? La fuite ? (III 651) Qu’est-ce qu’un héros ? Voit-on un héros qui ne parle pas avant de mourir ? (III 652) Comment appelle-t-on ce sujet-là, qui s’entête dans une «erreur», envers et contre tout le monde, comme s’il avait devant lui l’éternité pour «se tromper» ? (III 655) Combien de fois un même amoureux ne se suicide-t-il pas ? (III 657) Je cherche des signes, mais de quoi ? Quel est l’objet de ma lecture ? Est-ce : suis-je aimé (ne le suis-je plus, le suis-je encore) ? Est-ce mon avenir que j’essaye de lire, déchiffrant dans ce qui est inscrit l’annonce de ce qui va m’arriver, selon un procédé qui tiendrait à la fois de la paléographie et de la mantique ? N’est-ce pas plutôt, tout compte fait, que je reste suspendu à cette question, dont je demande au visage de l’autre, inlassablement, la réponse : qu’est-ce que je vaux ? (III 659) Y a-t-il un point, un seul, sur lequel l’autre pourrait me surprendre ? (III 665) Tel, n’est-ce pas l’ami ? Celui qui peut un moment s’éloigner sans que son image s’abîme ? (III 667) Si je reçois le geste tendre dans le champ de la demande, je suis comblé : ce geste n’est-il pas comme un condensé miraculeux de la présence ? (III 669) Les moitiés (de l’androgyne) sont-elles dos à dos ou face à face ? (III 672) Si tout n’est pas deux, à quoi bon lutter ? Qu’ai-je à faire d’une relation limitée ? (III 673) L’amoureux manque sa castration ? (III 676) Et si le NVS [Non vouloir saisir] était une pensée tactique (enfin une !) ? Si je voulais toujours (quoique secrètement) conquérir l’autre en feignant de renoncer à lui ? Si je m’éloignais pour le saisir plus sûrement ? (III 678)
Textes
Que dire de ce qu’on aime, sinon : je l’aime, et le répéter sans fin ? Mais n’est-il pas surprenant que cette assomption du chant vers son essence, cet acte musical par lequel le chant semble se manifester ici dans sa gloire, advienne précisément sans le concours de l’organe qui fait chanter, à savoir la voix ? (III 694) Quel est donc ce corps qui chante le lied ? Qu’est-ce qui, dans mon corps, à moi qui écoute, chante le lied ? (III 695) Qui l’écoute, ce lied ? (III 696) Pourquoi le lied ? Pourquoi, selon quelle détermination historique et sociale, s’est-il constitué, au siècle dernier, une forme poétique et musicale aussi typique et aussi féconde ? (III 697) Mais peut-être le sourire, ce mode de parler aux autres sans violence et sans pose, peut-être le sourire est-il un art qui se perd ? Ou bien, au contraire, un art d’avenir ? (III 699) Imagine-t-on une enfance à Saint-Just ou à Lénine ? (III 702) Est-ce qu’il n’y aurait pas une sorte d’accord entre l’idéologie optimiste du «progrès» historique et la conception instrumentaliste du langage ? Et à l’inverse, est-ce qu’il n’y aurait pas le même rapport entre toute mise en distance critique de l’Histoire et la subversion du langage intellectuel par l’écriture ? (III 703) Quel est l’objet le plus peint, tout au long de l’histoire humaine ? (III 717) Le village, en France, n’est-il pas toujours un espace contradictoire ? La France, pays de la mesure ? (III 719) La littérature n’est-elle pas une réserve incomparable de savoir ? (III 728) Qu’est-ce que l’écoute, alors, cherche à déchiffrer ? (III 730) Mais si mon regard insiste (de combien de secondes supplémentaires ?, ce serait là un bon problème de sémantique), sa lecture tout d’un coup vacille : si c’était à lui, et non à la marchandise, que je m’intéressais ? Si je sortait du premier code (celui de la tractation) pour entrer dans le second (celui de la complicité) ? (III 740) «Etre marxiste» : que veut dire le verbe «être» dans cette expression ? (III 752) Mais y aura-t-il toujours des avant-gardes ? (III 772) Pourquoi écrit-on un livre, pourquoi d’un séminaire de recherche ai-je tenu à faire une œuvre d’écriture ? (III 794)

1976

Tuesday, January 30th, 2007

Qu’est-ce qu’il y a de Désir dans la lecture ? Y a-t-il des plaisirs différents de lecture ? Y a-t-il une typologie possible de ces plaisirs ?
Toujours la tentation de faire partager un plaisir intime de lecture, mais ce plaisir est d’ordre surtout intellectuel. Il faut le sortir de ce régime-là pour en trouver un de l’ordre du sensible, d’une ellipse dramatique. Comment transposer le temps de la lecture silencieuse et solitaire qui suit le cours singulier d’une pensée au temps de l’écoute partagée qui se distribue selon des attentions différentes ? Donner à entendre Barthes sur cette scène, ce serait donner à voir en mouvement sa pensée. Trouver dans la phrase la charge érotique de la question. Créer une dérive chez le spectateur.

Nicolas Bigards

Textes
Ne dirait-on pas que dans ces efflorescences le sujet cherche sa liberté : de tracer, de rêver, de se souvenir, d’entendre ? Ne nous arrive-t-il pas de rencontrer des fautes d’orthographe particulièrement «heureuses», comme si le scripteur écrivait alors sous la dictée non de la loi scolaire, mais d’un commandement mystérieux qui lui vient de sa propre histoire - peut-être même de son corps ? (III 375) Réformer l’orthographe ? (III 376) Qu’est-ce que lire ? Comment lire ? Pourquoi lire ? (III 377) On ne sait où arrêter la profondeur et la dispersion de la lecture : à la saisie d’un sens ? Quel sens ? Dénoté ? Connoté ? Combien d’hommes sont morts pour un sens ? (III 378) Pourquoi les Français d’aujourd’hui ne désirent-ils pas lire ? Pourquoi, paraît-il, cinquante pour cent d’entre eux ne lisent-ils pas ? (III 379) Qui sait si certaines choses ne se transforment pas, qui sait si certaines choses importantes n’arrivent pas (dans le travail, dans l’histoire du sujet historique) non pas seulement par l’effet des lectures, mais par celui des oublis de lecture : par ce que l’on pourrait appeler les désinvoltures du lire ? (III 380) Qu’est-ce qu’il y a de Désir dans la lecture ? (III 381) Y a-t-il des plaisirs différents de lecture ? Y a-t-il une typologie possible de ces plaisirs ? Il faudrait au reste interroger, à l’inverse, les blocages, les dégoûts de lecture : pourquoi ne continuons-nous pas un livre ? Pourquoi Bouvard, décidant de s’intéresser à la Philosophie de l’Histoire, ne peut-il «achever le célèbre Discours de Bossuet» ? Est-ce la faute de Bouvard ou de Bossuet ? Y a-t-il des mécanismes universels d’attrait ? Y a-t-il une logique érotique de la Narration ? (III 382) Ce plaisir de production est-il élitiste, réservé aux seuls écrivains virtuels ? (III 383) Quelle puissance aurait une œuvre qui écrirait, sur le modèle de la science-fiction, l’utopie générale du Désir ? Qui représenterait réellement un monde où jouir serait possible, et voir mourir impossible ? Où la communauté humaine aurait assez de subtilité et de puissance sur elle-même, et non plus sur la Nature (vieille lanterne), pour faire de la vie intersubjective une trame de «fêtes», et non plus de «scènes» ? (III 386) Le libertin écrit sous la dictée du fantasme ? Il est significatif que ce que la critique moderne (allant sans doute au plus urgent) refoule parfois en Sade, ce soit précisément l’écriture : quoi refouler d’autre ? (III 389) Et pourtant, si tout de même… ? Si tout de même, au plan des affects, il y avait du Sade dans la fascisme (chose banale), et, bien plus, s’il y avait du fascisme dans Sade ? (III 392) Le geste du graveur n’est-il pas en fait le geste même du scripteur ? (III 394) Qui est-ce ? Où ai-je vu cette face, cette dégaine ? Humoriste ? (III 395) Comment une image peut-elle donner des idées ? (III 398) Quoi - ou plutôt qui ? (III 399) Au sens propre, qu’est-ce qu’un «cartoon» ? (III 402) Qu’est-ce qu’une collection, un défilé ? (III 407) Et d’ailleurs qui peut détruire la culture ? (III 411) De quoi est-ce que je me souviens ? Quelle est l’idée générale que j’ai de cette œuvre (de Steinberg)? (III 415) L’écriture n’a-t-elle donc plus d’histoire ? N’avons-nous plus rien à en dire ? (III 423) Mais pourquoi ne chercherions-nous pas - utopiquement - à disposer, selon nos besoins et nos désirs, de deux langues, l’une actuelle et l’autre… autre, comme le voulait Dante, qui naviguait avec beaucoup de jouissance entre le latin et le toscan ? (III 438)